Avant de commencer la partie dédiée aux propositions, j’invite les lecteurs à relire la première partie, que j’ai enrichie de quelques statistiques qui seront utiles pour ce deuxième volet.
Je demande aux lecteurs de cet article de bien vouloir le lire jusqu’au bout, car une lecture partielle de ce sujet complexe ne mènera qu’à des incompréhensions totales.
Le principe : pouvoir limiter l’immigration
Je ne suis pas hostile à l’immigration dans son principe. Mais, même si cela pourra heurter certains, il n’y a pas de « politique d’immigration » qui ne se fonde pas sur un pouvoir du pays d’accueil de limiter l’immigration. Il est cocasse d’entendre des associations ou formations de gauche n’avoir à la bouche que les mots « politique » et « alternatives », entendant par là – à juste titre- que faire de la politique, c’est se donner la liberté de faire des choix, et qu’en même temps ces organisations militeront pour obtenir, peu ou prou, l’abandon des frontières, du contrôle policier, de tout ce qui permet à un état de bloquer les migrations en tout ou partie. Il est de surcroît aberrant d’entendre les dénonciations d’un ordre « (néo)-libéral » qui prônerait « la liberté de circulation pour les marchandises et capitaux, pas pour les êtres humains », alors que les théoriciens du libéralisme comme Friedman demandaient justement la liberté de migration. De fait, en demandant l’abolition des obstacles à la migration, les immigrationnistes de gauche se situent à leur tour dans le refus du politique : on doit accepter l’immigration quelle qu’elle soit, on n’ a pas à avoir de politique dessus.
Les lecteurs chevronnés de ce blog (cas théorique) pourront relever que dans mon article d’Avril 2007, je défendais moi-même peu ou prou l’idée que l’immigration ne se choisissait pas. C’est toujours vrai à la base : on ne choisit pas le fait que des mouvements humains aient lieu, pour des raisons économiques ou politiques, et on ne peut réduire à rien les entrées sur le sol français. Je suis d’ailleurs toujours sur l’idée que le développement économique du continent africain – qui, même s’il fait encore peu de bruit, est bien en cours, avec des croissances de PIB à 5% en moyenne sur la décennie passée- ne réduira pas l’émigration, bien au contraire. Plus de moyens par habitant dans un pays en développement signifie plus de moyen d’émigrer. Mais lorsqu’un pays atteint un niveau élevé de développement (cas de la Corée du Sud par exemple, ou de l’Espagne et du Portugal), l’émigration se réduit. L’émigration africaine finira sans doute par se tasser sur le long-terme, mais, vu le niveau actuel de développement du continent, l’échéance en est lointaine et nous ne sommes sans doute pas à l’apogée des départs vers l’Europe.
Ce qui fait que les propositions qui seront développées dans cet article n’auront pas pour but de faire drastiquement baisser l’immigration, mais de permettre aux français, s’ils le décident, d’endiguer sa progression.
La liberté de migration totale…avec des incitations de non-migration
Mes positions fondamentales sont plutôt libérales vis-à-vis des migrations. Comme je l’avais expliqué dans l’article de Janvier 2010, je ne voyais pas l’intérêt de fixer des limites à l’entrée sur le territoire français pour des pays tels qu’Haïti, la Russie, l’Afghanistan, le Sri Lanka, l’Irak…dont les ressortissants en France sont fort rares, et les situations dans le pays d’origine préoccupantes. En Afrique, 60 % des migrants légaux viennent du Maghreb, et parmi les 34 000 arrivants d’Afrique noire, 24 000 viennent de neuf pays (Cameroun, Sénégal, Côte d’Ivoire, Mali, les deux Congo, la Guinée, Madagascar, Comores – ce dernier pays représentant un cas particulier du fait du maintien de Mayotte dans la France).
Pour la plupart des pays du monde, on pourrait donc décréter la liberté de circulation avec la France, sans générer aucun risque d’invasion quelconque. Pour quelques pays d’Afrique, on doit se doter des moyens de limiter les flux. Mais pas nécessairement par la fixation de quotas et la traque de clandestins comme nous le faisons actuellement.
Il s’agirait plutôt de régulariser rapidement les personnes entrant en France pour une durée de plusieurs années, même sans autorisation des consulats français du pays d’origine, et ne recourir que rarement aux expulsions. Avant de préciser quels seraient les moyens qui permettraient de réduire à la source les départs vers la France, j’ajouterai que la disparition de la clandestinité nous donnerait (« nous » au sens de la République Française) un avantage important : la possibilité de connaître réellement et scientifiquement l’immigration. Une fois régularisés, les immigrés peuvent beaucoup plus facilement faire l’objet de statistiques, sur leur lieu de départ, sur les raisons de leur départ, sur leurs objectifs en France, sur le coût de leurs trajets.
On aura donc une immigration apparemment plus forte en France (du fait de l’émergence de centaines de milliers de clandestins), mais qui pourra être plus facilement régulée du fait même de cette régularisation. Elle nous permettra notamment de mieux connaître l’immigration de travail africaine (en bonne partie clandestine). Nous avons vu que l’immigration africaine –légale- est majoritairement constituée de regroupements familiaux. Mais si cette immigration a lieu, c’est justement parce qu’il y a eu des migrations de travail par le passé, un peu encore aujourd’hui, et que des migrants clandestins sont régularisés. Et aussi parce qu’il y a eu des migrations d’étudiants dont certains sont devenus des travailleurs en France. Et cette migration étudiante n’est pas négligeable comme nous l’avons vu dans l’article précédent : 38 000 étudiants étrangers arrivèrent en France en 2006, dont 14 000 du continent africain. Nous avions aussi vu que 11% seulement de l’immigration africaine est le fait de mineurs. Les conjoints (de français ou d’étrangers) constituent 40% des immigrants africains arrivant en France. L’immigration africaine en France, c’est d’abord une immigration de travailleurs et d’étudiants, plus secondairement de réfugiés (8% des immigrants africains en 2006), qui suscitent ensuite une importante immigration familiale.
C’est donc sur cette question des migrations économiques qu’il faut cibler l’approche pour pouvoir espérer moduler les migrations à venir. Migrations qui, dans le cas africain, sont pour l’instant davantage maghrébines que subsahariennes, mais qui pourraient devenir davantage « noires » à l’avenir, du fait de la réduction plus prononcée de la natalité en Afrique du Nord qu’au sud du Sahara. Et surtout du fait que l’Afrique noire a une bien plus grande marche à parcourir que les pays de la rive sud de la Méditerranée pour atteindre le niveau de développement qui rendra l’émigration inutile.
Premier moyen : réorienter l’aide au développement vers deux cibles : le sanitaire et éducatif
La France s’est engagée à verser annuellement 0,7% de son PIB à l’aide publique au développement. Montant qu’elle honore peu (moins de 0,5% en réalité) et qui recouvre des sommes aux affectations très diverses : par exemple, l’enseignement prodigué à des étudiants étrangers en France est compté comme de l’aide au développement. Et ce 0,5% versé par la France est de fait annulé par les charges financières des états africains payant leurs dettes publiques.
La première initiative - en dehors de l'annulation des dettes publiques des états africains - serait de monter nettement cette aide, à 1% du PIB au moins, voire plus, en tenant compte du fait qu’1% du PIB français représente 400% du PIB malien…
L’aide publique au développement a été accusée de nombreuses tares, en ce qu’elle enfonçait les pays receveurs dans une logique d’assistance, qu’elle n’incitait pas à développer des activités locales, qu’elle permettait plutôt de se fournir à l’étranger (l’argent pouvant revenir ainsi au pays donateur, qui s’octroie de fait une subvention à lui-même) créant ainsi une concurrence inégale pour les entrepreneurs locaux. Même si on validait d’emblée ces critiques, il n’en resterait pas moins que la situation humaine du continent africain, principalement subsaharien, sur les plans scolaire (que l’on peut mesurer par les taux de scolarisation primaire et secondaire compris entre 40 et 60% d’une classe d’âge pour la plupart des états d’Afrique noire) et sanitaire (avec une espérance de vie autour de 50 ans en Afrique subsaharienne, parfois moins) fait qu’on ne peut pas attendre pour intervenir. L’action prioritaire de la France devrait donc être de prendre en charge et de créer davantage d’écoles, d’universités, d’hôpitaux, de fournir une partie conséquente des budgets scolaires et sanitaires locaux. Et si possible de grouper les structures créées afin d’en faire des pôles d’emplois locaux.
Les effets de cette politique seront :
- d’améliorer la situation économique des personnes qui auront un emploi dans les écoles, universités, hôpitaux, ou dans leur sous-traitance, ainsi que de leur famille – qui sont plus étendues en Afrique qu'en Europe. Si les personnes qui auront ces emplois n’auront plus intérêt à émigrer en Europe, en revanche leurs enfants, cousins, ou autres proches pourraient utiliser les revenus qui leur reviendraient pour se constituer un capital à l’émigration. Donc cet effet d’enrichissement pourrait avoir dans un premier temps un effet amplificateur des migrations ;
- d’améliorer les conditions de vie aux alentours des pôles d’emploi. Si la France devait à nouveau expulser des migrants, elle disposera de sites vers lesquels les raccompagner en étant assurée que les expulsés bénéficieront quand même de la possibilité d’être soignés et de scolariser leurs enfants ;
- d’offrir aux étudiants africains la possibilité de faire des études de qualité dans leur continent d’origine, sans avoir besoin de venir en France.
Créer des concours de migration
Ces pôles d’emplois permettraient également d’organiser des concours de migrations. Qu’est-ce donc ? Rien de bien nouveau si l’on songe aux loteries permettant d’obtenir la carte verte autorisant à travailler aux USA. Le principe est simple : créer un concours portant sur diverses compétences professionnelles, plus la connaissance de la langue française et des principes de base du droit en France. L’enjeu serait ni plus ni moins qu’un visa pour la France, avec naturalisation programmée à la clé, ainsi qu’un emploi offert, par exemple dans la fonction publique (ce qui correspond à une levée partielle de la préférence nationale à l’emploi public). Avec pour contrepartie l’obligation pour le lauréat de s’engager avec plusieurs autres personnes restées dans le pays d’origine à 1) ce que ces personnes restent hors de France ; 2) qu’une partie de son salaire en France soit transmis à au moins l’une de ces personnes. En cas de non-respect par un des signataires de la clause de non-immigration en France, sauf cas d’urgence humanitaire, le lauréat du concours perd tout, emploi, salaire, naturalisation accélérée.
Comme un concours de grande école, le nombre de places serait limité, et on atteindrait sans doute rapidement un rapport de 5 ou 10 candidats pour un-e élu-e.
Quel serait l’intérêt de cette politique ?
- le fait de recevoir en France des personnes qui seront économiquement intégrées en sachant qu’une quantité plus importante demeurera, par contrat, en Afrique, et qu’ils gagneront financièrement à y rester ;
- mais surtout, la réunion d’un nombre important de candidats aux concours, qui se déclareront donc comme tels dans les ambassades et consulats français, et qu’il sera possible d’interroger pour connaître leurs motivations pour émigrer vers la France, et les moyens qu’ils sont prêts à y mettre.
Créer des contrats de non-migration
On arrive vers une pièce maîtresse du dispositif que je propose, qui sont les contrats de non-migration. Le principe est quasiment le même que le précédent, sauf qu’il n’y a pas de lauréat d’un concours ayant obtenu un emploi en France. Il ne s’agit que de proposer à plusieurs personnes de s’engager mutuellement avec la France à ne pas y émigrer, en l’échange de quoi la France verse une allocation à chacun des signataires majeurs tant qu’aucun d’entre eux ne viole l’engagement.
On va tout de suite penser aux fameuses « aides au retour », qui, dès le « million (d’anciens francs) » de Stoleru dans les années 70, ont été des échecs massifs. La raison de ces échecs étant simples : en faisant la comparaison entre, d’un côté, ce qu’il avait dépensé pour venir en France, ce que son travail, légal ou pas, lui rapportait, la perte financière que représenterait pour lui et sa famille – au sens large – un retour en Afrique (perte de l’emploi en France), et de l’autre côté la petite aide au retour, il était évident que le migrant n’avait aucun intérêt à accepter cette proposition. Un clandestin qui passe d’Afrique en Europe peut verser des sommes allant jusqu’à dix mille euros aux passeurs. Si l’état français ne lui offre pas une aide au moins égale ou supérieure, le migrant ne rentrera pas, et ce plus encore s’il s’est adapté à sa vie en Europe, et s’il y avait également des motifs de sécurité personnelle dans sa migration.
Ici, le principe est de proposer une indemnisation, en l’échange de la mise entre parenthèse du droit de migrer. C’est donc une politique plutôt libérale dans l’esprit. Mais surtout, cette proposition intervient avant le départ. Elle a pour but d’éviter au migrant potentiel la prise de risque qu’inclut un voyage (surtout s’il est illégal) et d’aller nourrir un passeur.
Une autre objection sera qu’on encouragerait par ces contrats un assistanat permanent, direct et assumé des africains par la France. Ce n’est pas nécessairement ainsi que cela se traduit, tout dépend des modalités de calcul de la subvention. On peut très bien promettre aux signataires, non une subvention fixe, mais proportionnelle aux revenus qu’ils déclarent aux services fiscaux de leur pays. Autrement dit, plus ils s’enrichissent par eux-mêmes – subvention française exclue – plus ils gagnent. Pas très redistributeur, comme principe, me direz-vous ! C’est sans doute le moindre mal. Verser une subvention à des gens simplement parce qu’ils se seront engagés à ne pas bouger de leur pays peut être un très mauvais exemple au niveau microéconomique, et désinciter beaucoup de compatriotes au travail. Mais si, entre deux signataires, l’un s’enrichit deux fois plus que l’autre en subventions parce qu’il a le double en revenus issus de son activité personnelle, alors la désincitation disparait. Bien sûr, il reste le risque de fraudes. Mais si un signataire déclare plus de revenus qu’il n’en a en réalité, il est du coup plus imposable par le fisc de son pays ! Cependant, la subvention sera plafonnée, afin que les élites les plus riches des pays de départ – et les pays en développement sont généralement très inégalitaires en termes de revenus – ne puissent pas multiplier ainsi leurs gains.
Sur ma droite, la principale critique contre ce projet serait son coût faramineux, et l'idée que ces propositions seraient prises d’assaut par des millions de personnes en Afrique. Je ne le pense pas. D’abord le coût : en Afrique subsaharienne, un salaire de 300 euros mensuels est un bon niveau de revenu pour une personne, ayant à charge un conjoint et au moins deux enfants. Si la France décidait de consacrer 0,5% de son PIB (soit dix milliards d’euros) à ces subventions, à raison de 3600 euros par an et signataire, on peut allouer cette somme à 2,8 millions de signataires, soit plus de dix millions de personnes si l’on inclut conjoints et enfants. Et sans doute plus encore, car je raisonne ici avec deux enfants par couple, quand la moyenne est de 7 naissances par femmes au Mali, 5 au Sénégal. Mais si l’on étend la mesure au Maghreb, c’est bien la norme de deux enfants qu’il faut prendre. Mais par rapport à une population d’Afrique noire francophone – à l’origine de l’essentiel de l’immigration subsaharienne – de plus de deux cent millions d’habitants, et de 80 millions de maghrébins, ces dix millions paraissent fort peu !
C’est oublier que la migration n’est pas, et ne sera sans doute jamais accessible à la majorité des habitants de ces pays, pour une raison déjà expliquée : le coût du voyage et de l'installation en France pour le migrant et sa famille, que la migration soit légale ou pas. Il y a donc un moyen efficace de réduire le nombre de signataires potentiels sans réduire l’efficacité du dispositif, et qui est tout simplement de réduire l’accès du contrat à ceux qui avaient les moyens d’émigrer. Et concrètement, ça veut dire que l’on fait payer une caution pour avoir le droit de signer. Caution qui sera sans doute plus basse que le coût d’un départ et d’une installation en France. Mais ceux qui n’ont pas les moyens de migrer n’auront pas non plus les moyens de contracter.
On peut trouver ces principes peu poétiques, peu conformes à un idéal égalitariste : un dispositif où le plus riche gagne encore plus, et auquel la majorité la plus pauvre n’a pas accès. C’est oublier que le but de ce plan n’est pas d’entretenir des pays entiers. Et pour les camarades, je citerai Lénine, lorsqu’il disait que le capitalisme n’était un mal que par rapport au socialisme, mais un bien par rapport au féodalisme. Les états d’Afrique noire sont certes entrés dans la mondialisation des échanges, mais pas vraiment dans une société capitaliste développée ; un pays comme l’Algérie reste marqué par une économie féodale et bureaucratique forgée par le FLN. Dans tous ces pays, la montée en puissance –déjà entamée bien avant que j’écrive- d’une classe moyenne de plusieurs millions de personnes, formant une puissance économique capable de contester le pouvoir d’une petite élite richissime, est la principale voie d’accès au développement. Je préfère encore que la France – et d’autres pays d’Europe, partageant les mêmes intérêts que la France, et formant une puissance financière bien plus grande – soutienne le développement de cette classe moyenne au pays même, plutôt que de voir la grande majorité de ces populations rester dans une pauvreté profonde, avec une minorité d’entre eux qui auront changé de continent à grands frais, en espérant faire revenir à leur famille une minorité de ce qu’ils gagnent.
Résumé des propositions
La ligne que je propose est celle d’un libéralisme, au bon sens du terme, quant à l’immigration, libéralisme mis en parallèle avec une recherche d’informations facilitée par la disparition de la clandestinité, et avec une action intelligente pour couper court à la source à l’émigration, en la rendant inutile. Ainsi, plus de centres de rétention administratifs, plus de courses-poursuites entre sans-papiers et policiers, finissant en défenestration pour les premiers. Le principal risque qu’encourrerait une personne venue sans autorisation des consulats français sera d’être repérée par les forces de police, qui aussitôt la régulariseront, …et s’enquerront de savoir si la personne en question était cosignataire d’un contrat de non-migration, auquel cas la régularisation signifierait la perte des gains pour tous. La conclusion critique qu’on pourrait en tirer serait que ce système de contrats introduirait un auto-flicage des habitants des pays de départ. L’idée de flicage me parait excessive, et la question me semble plutôt être : préférez –vous que les africains régulent eux-mêmes leurs migrations, ou que ce soit la police française qui le fasse, sans parler de celles de Kadhafi, Ben Ali ou Mohammed VI, en tant que sous-traitants de la politique de l’immigration de l’Union Européenne ?