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Texte Libre

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28 décembre 2009 1 28 /12 /décembre /2009 18:16

Carte des fronts au Rwanda en Juillet 1994, opposant le FPR (Front Patriotique Rwandais) aux FAR (Forces Armées Rwandaises) et aux troupes françaises de l'Opération Turquoise.

CarteTurquoise.jpg

          J’avais normalement prévu de publier un article sur la question de la gratuité des transports, mais un autre sujet m’a paru plus important. Il s’agit de la lecture de rapports sur l’implication de l’état français dans la guerre civile et le génocide ayant eu lieu au Rwanda en 1994 (et dans les années précédentes).

Petits rappels : le Rwanda est un pays d’Afrique Centrale, ancienne colonie allemande puis belge à partir de 1918, indépendante en 1960. La population parle très majoritairement une seule langue, le kinyarwanda. Pendant la colonisation,  allemands et belges ont surexploités un clivage social mineur, opposant les pasteurs « nobles » tutsis aux paysans hutus, les premiers faisant office d’élite dans la population administrée. Après l’indépendance, s’opère une « révolution sociale » au cours de laquelle des partis dirigés par des hutus prennent le pouvoir, en usant comme principal argument la répression de la « domination tutsie ». Des centaines de milliers de tutsis, déjà minoritaires à la base, se réfugient dans les anciennes colonies britanniques voisines, à commencer par l’Ouganda. Le Front Patriotique Rwandais, mouvement de résistance contre le régime de Kigali (capitale du Rwanda), dominé par les tutsis exilés, voit le jour. Au Rwanda, l’appartenance ethnique (tutsie / hutue / twa) figurant sur les cartes d’identité, une société de discriminations voit le jour, jonchée de massacres de tutsis tels que ceux survenant au début des années 70, ou au début des années 90. En 1973 commence le régime du général Juvénal Habyarimana. Après l’indépendance, l’influence belge était restée prépondérante, avant d’être concurrencée puis largement dépassée par l’influence française au milieu des années soixante-dix (sous Giscard, donc).

Au cours des années 80 et surtout au début des années 90, les affrontements entre le pouvoir rwandais et le FPR, attaquant depuis la frontière ougandaise au Nord, s’intensifient. 1990 est non seulement une date qui voit recommencer le cycle des massacres de tutsis encadrés et sans doute planifiés par le régime rwandais, mais aussi qui voit s’intensifier l’aide française au régime. Le FPR est perçu comme un agent des puissances anglo-saxonnes en Afrique, et donc comme un ennemi du « pré carré africain » de la France. Cette hostilité s’étend aux Tutsis, non seulement pour le régime rwandais, mais certainement aussi du point de vue de l’Elysée, qui a disposé au Rwanda plusieurs centaines de militaires, et plusieurs dizaines de coopérants, et continue une aide logistique et financière. Selon le rapport Mucyo que nous verrons plus loin, au moins 5 000 à 7 000 civils tutsis sont abattus entre 1990 et 1993 au Rwanda, sans que cela ne provoque la moindre modification de l’aide française. A la présence française s’ajoutait une force onusienne, la MINUAR. Un accord de paix est signé en 1993 par le régime rwandais et le FPR à Arusha (ville de la Tanzanie voisine).  La France retire ses troupes en fin 1993, ne laissant que quelques dizaines de coopérants (officiellement 24).

Vient l’année 1994. Le 6 Avril, l’avion transportant Juvénal Habyarimana, toujours dictateur du Rwanda, et son homologue burundais (le Burundi est en quelque sorte une république jumelle située au Sud du Rwanda, avec une histoire quasi symétrique, jusqu’à 1994), est abattu. On n’a pas encore de certitudes sur l’identité des auteurs de l’attentat. Aussitôt se forme (dans l’ambassade de France à Kigali) un gouvernement intérimaire de la République (GIR), en même temps qu’est assassinée la dépositaire légale du pouvoir, le premier ministre Agathe Uwilingiyimana. S’enclenche aussitôt une série de massacres de tutsis dans Kigali, perpétrés par des miliciens (les Interahamwe) armés de machettes, mais assistés, coordonnés et encadrés par les Forces Armées Rwandaises (les FAR). En même temps débute une offensive du FPR au Nord. Les massacres du GIR débordent rapidement de Kigali pour s’étendre au reste du pays. En même temps, l’ONU a réduit ses forces à 270 hommes suite à l’assassinat de dix casques bleus belges. Il faudra plus de deux mois au FPR pour prendre le contrôle du pays, temps pendant lequel 800 000 à un million de personnes auront été exterminées, soit 90% de la minorité tutsie (environ 700 000 personnes en 1994) et une minorité de hutus qui ne suivaient pas le régime génocidaire (aussi dit du Hutu Power). La défaite du GIR entraîne avec elle la fuite de deux millions de hutus rwandais vers le Congo (le Zaïre d’alors). Le FPR s’installait au pouvoir, d’abord via un régime de réconciliation, puis avec son chef, Paul Kagame, à la présidence du Rwanda.

Quel a été le rôle de la France dans ce drame ? Officiellement, pendant les deux premiers mois du génocide, rien, comme le reste de la communauté internationale. Le ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, parle de génocide au milieu du mois de Mai. Début Juin, prétendant stopper le génocide, le gouvernement français propose une intervention qui sera l’Opération Turquoise. Devant initialement couvrir la moitié Ouest du pays, elle se limitera à trois préfectures du Sud-Ouest du pays. « Heureusement » pourrait-on dire, car il y a aujourd’hui toutes les raisons de penser que l’opération n’avait strictement rien d’humanitaire, et ne servait pas à protéger les rescapés tutsis ni à désarmer les génocidaires.

Je propose au lecteur ces deux rapports :

Rapport de la Commission d’Enquête Citoyenne sur le rôle de la France dans le génocide rwandais (rapport rédigé en 2004 par plusieurs intervenants dont l’association Survie et son président d’alors, feu François-Xavier Verschave, en réaction à un rapport parlementaire de 1998, sous la présidence du député Paul Quilès, qui avait innocenté l’état français en tout, sauf bien sûr pour la non-assistance au début du génocide).

Le rapport de la commission d’enquête rwandaise sur l’implication de l’état français dans le génocide de 1994, dit aussi rapport Mucyo, du nom du président de la commission.

Ce qu’il ressort de ces rapports, c’est que l’état français a été l’allié inconditionnel de l’ancien régime rwandais, et qu’il a partagé sa lutte contre le FPR jusque dans l’aversion généralisée contre les tutsis. L’état français a donc aidé le régime en ignorant le risque de génocide, en ignorant le génocide lui-même, puis en montant l’opération Turquoise pour le protéger pendant sa déroute finale, puis en réarmant ce qu’il en restait au travers des réfugiés au Congo.

Je vais donner les principaux sujets de griefs reprochés à la France, dans l’ordre décroissant de gravité selon moi :

-          Soutien matériel et financier au gouvernement génocidaire pendant le génocide, avec livraisons répétées d’armes de guerre (au moins cinq ou six envois) pendant les mois d’Avril à Juin ;

-          Soutien direct à l’armée génocidaire pendant l’opération Turquoise, qui a permis la continuation du génocide sur le territoire qu’elle couvrait jusqu’au mois de Juillet, alors qu’il cessait ailleurs, là où le FPR prenait le contrôle du terrain. Des militaires français se trouvent alors directement complices d’actes de génocide, et parfois même de meurtres à base ethnique ;

-          Soutien en armes, en encadrement, en argent et en hommes au régime d’Habyarimana en 1990-1994, alors que la spirale sanguinaire et le risque génocidaire s’accroissaient ;

-          Soutien diplomatique, à l’ONU, au gouvernement rwandais, pendant la durée du génocide ;

-          Aide à la reconstitution des armées de l’ancien régime au Congo, dans les camps de réfugiés, à partir de Juillet 1994.

Voyons un résumé sur le plan chronologique :

De 1990 à 1994

L’armée française renforce sa présence au Rwanda à chaque offensive du FPR. L’armée du régime passe de 5 000 à 50 000 hommes. La France n’est cependant pas le seul pays à l’armer : y figurent aussi la Chine, l’Afrique du Sud, l’Egypte. Les militaires ne sont pas non plus les seuls à former les militaires rwandais : des officiers belges y contribuent aussi. Mais la place prépondérante de la France se manifeste au travers de l’enseignement de la « guerre révolutionnaire », tirée de l’expérience des échecs coloniaux de la France en Indochine et qui fut pratiquée avec succès lors de la bataille d’Alger. Cette technique de guerre sert, contrairement à ce que son nom pourrait faire croire, non pas à renverser un régime mais à empêcher son renversement par le contrôle total de la population, par le quadrillage militaire du territoire, par l’organisation de milices populaires (d’où la formation militaire dispensée aux milices hutus extrémistes Interahamwe par des militaires français, qui a fait l’objet de nombreux témoignages). Mais aussi par la préparation psychologique des combattants, réguliers ou non, pour traquer l’ennemi intérieur, ici le tutsi ou les hutus « peu sûrs ». Cette formation s’intensifie en 1993, juste avant que la France ne retire quasiment toutes ses troupes. Des gendarmes français contribuent également à établir un fichier informatisé des personnes à surveiller (PRAS). Le PRAS a pu être utilisé lors du génocide en 1994, mais ne contenait de toute façon pas les noms du million de futures victimes. Beaucoup de meurtres furent commis sur la base de la carte d’identité, indiquant l’appartenance ethnique. L’une des méthodes les plus courantes pour arrêter les « ennemis intérieurs » furent les barrières routières. De 1990 à 1994, à de nombreuses reprises, des militaires français furent vus en train de procéder à des contrôles d’identité à ces barrières, livrant les tutsis aux forces régimaires. Les victimes étaient soient torturées, violées, parfois disparurent. Un témoignage de 1990 rapporte que les miliciens rwandais tuaient les tutsis à la machette sous les yeux des soldats français.

 Il y a eu avant 1994 des avertissements lancés par des observateurs sur le risque génocidaire au Rwanda. En Janvier 1993, Jean Carbonare le déclarait sur France2 (Antenne2 à l’époque). Mais il n’existe pas de preuve, y compris selon le rapport Mucyo, pour affirmer que les militaires français savaient qu’ils participaient à la préparation d’un génocide. Le mépris délibéré du risque génocidaire peut aussi être avancé ; on ne peut affirmer que l’état français aura programmé ou commandité le génocide. Après tout, la formation dispensée pouvait très bien servir à une guerre de terreur mais non génocidaire. La France aurait-elle rompu tout lien avec le régime rwandais avant Avril 1994, que sa complicité consciente dans le génocide aurait-elle pu être niée de bonne foi, en prétextant d’une (longue) erreur de jugement de l’Elysée sur le pouvoir de Kigali.

Pendant le génocide, jusqu’à Turquoise

Au tout début du génocide, le gouvernement intérimaire rwandais se forme dans les murs de l’ambassade de France. Cela ne prouve pas en soi que l’état français aurait constitué lui-même le régime génocidaire : celui-ci survient d’un putsch procédant de l’assassinat du premier ministre et de la mise en fuite des responsables des partis hutus modérés par les commandants de l’armée rwandaise, en premier lieu le colonel Théoneste Bagosora. La France n’a alors que 24 coopérants sur place. Le rapport Mucyo considérera qu’ils étaient plus nombreux en réalité, mais moins d’une centaine cependant. Ce qui est certain, c’est que l’état français a contribué à donner une légalité internationale au nouveau régime. Le représentant français au Conseil de Sécurité des Nations Unies, Mr. Mérimée, plaide en effet pour la reconnaissance du nouveau gouvernement. Il tentera ensuite de retarder la reconnaissance du génocide en tant que tel et de l’embargo sur les armes, que le Conseil de Sécurité (dont la France) votera dans la troisième semaine de Mai.

Les charges concernant le soutien diplomatique de la France au Rwanda ne sont pas à mes yeux les plus lourdes. Pour une raison simple : la France n’a pas usé de son veto (dont elle dispose en tant que membre permanent du Conseil) pour bloquer un vote condamnant le régime du Hutu Power (la France a utilisé son veto pour la dernière fois en 1976, pour conserver Mayotte). De même, sur les quinze membres du Conseil (les cinq permanents : France, Royaume-Uni, USA, Russie, Chine, plus dix tournants, dont faisait partie le Rwanda cette année-là), seuls quatre pouvaient être considérés comme alliés du Rwanda : le Rwanda, la France, Djibouti (dans l’orbite française), et le sultanat d’Oman. Quatre pays sur quinze ne font pas une majorité. Il a été également reproché à l’état français, disposant du meilleur réseau de renseignement au Rwanda, de ne pas avoir informé les autres pays sur ce qui s’y passait. D’autres membres du Conseil de Sécurité (par exemple la République Tchèque) s’en sont plaints. Mais d’autres pays, tels que la Belgique, les USA, ou encore l’Ouganda voisine chaperonne du FPR, pouvaient tout aussi bien transmettre leurs informations aux pays membres du Conseil. L’absence de réaction de la communauté internationale vient tout simplement…de la communauté internationale. Les USA n’ont pas un rôle nul dans cette affaire, ayant eux-mêmes refusé la qualification des massacres en tant que génocide. La cause étant qu’après l’échec en Somalie, le gouvernement américain ne voulait pas s’engager en Afrique.

Pendant ce temps, le génocide s’effectue, avalant des milliers de vies par jour. En Mai, le gouvernement français reçoit les émissaires du gouvernement génocidaire. Les livraisons d’armes, venues de divers pays, transiteront par l’aéroport de la ville zaïroise de Goma, à la frontière du Rwanda. Six cargaisons seront identifiées comme françaises ou payées par la France, pour un montant de 5,5 millions de dollars (les transferts des banques françaises, la BNP surtout, vers la banque nationale rwandaise, concerneront 33 millions de francs, surtout pendant le mois de Juin). L’origine des armes n’est cependant pas forcément hexagonale : parmi les fournisseurs du régime figureront également une société basée au Royaume-Uni (Mil Tec), et l’aéroport belge d’Ostende servira également de relais. Des armes partiront d’Israël. Les rédacteurs de la Commission d’Enquête Citoyenne pensent que le stockage et le transport d’armes sont des opérations trop massives pour être effectuées sans l’approbation de fait du gouvernement du pays de transit. Le rapport Mucyo notera que ces armes auront probablement un rôle déterminant dans la durée de la résistance du régime rwandais aux assauts du FPR. Le rapport notera également la présence de quelques soldats français, équipés d’artillerie, participant à des combats contre le FPR dans l’Ouest du pays. Mais cette présence, contraire aux prétentions officielles du gouvernement français, aura peu d’importance dans la suite des combats.

L’Opération Turquoise

Prenant effet dans la troisième semaine du mois de Juin, alors que le génocide est en très grande partie consommée, l’entrée des troupes françaises n’aura quasiment aucun rôle de protection des rescapés du génocide. Déjà, selon les deux rapports cités, nombre de soldats français s’étaient fait raconter qu’au Rwanda, les Tutsis massacraient les Hutus ! De surcroît, parmi le corps expéditionnaire se trouvaient nombre de soldats qui avaient déjà été présents au Rwanda entre 1990 et 1994, qui avaient toujours cette hostilité envers les Tutsis. Si quelques milliers de tutsis furent accueillis dans les camps de réfugiés, devant les caméras de télévision – mais pas séparés des hutus, même Interahamwe, selon la commission Mucyo – l’attitude générale par rapport aux survivants du génocide fut l’indifférence, et, selon de nombreux témoignages, la coopération active avec l’allié rwandais, donc la livraison de civils aux miliciens génocidaires. Ainsi des soldats français furent-ils à nouveau vus en train de faire des contrôles d’identité à des barrières routières, refusant l’entrée de tutsis dans les camps de réfugiés, ou leur proscrivant le retour dans les zones contrôlées par le FPR (le simple fait qu’un civil exprime le souhait de retourner dans ces zones étant une preuve de complicité avec l’ennemi). La commission Mucyo recense aussi quelques cas d’assassinats perpétrés directement par des militaires français, mais il ne s’agit pas là de meurtres ethniques (mais plutôt des cas où des français tirent sans sommation sur un civil qui s’est servi d’une grenade contre des pillards, ou qui est accusé de vol, etc…), ainsi que de nombreux cas de viols. La commission note ces faits pour donner un aperçu complet des méfaits des soldats français, mais ces derniers points ne sont pas des actes de génocide. Plus accablants sont les cas de largage de civils tutsis depuis des hélicoptères. Le rapport Mucyo rassemble des témoignages qui porteraient le nombre de personnes larguées à au moins 25, dont 5 auraient survécu, et deux au moins auraient été tuées au sol par des paysans hutus. Les largages se faisaient souvent à basse altitude (quelques mètres) pour que la chute ne soit pas mortelle en soi, mais pour que la victime soit abandonnée à son sort. Plus troublant encore, des témoins, parmi d’anciens génocidaires, font état d’officiers français les incitant à continuer à tuer les inkotanyi (nom donné aux combattants tutsis, et qui pouvait désigner tous les tutsis de fait), un témoignage rapportant même des récompenses données par des militaires français.

Le cas le plus emblématiques de la vraie nature de Turquoise fut Bisesero. Sur cette colline, au début du génocide, près de 50 000 à 60 000 tutsis se réfugièrent pour opposer une résistance désespérée, avec pierres et sagaies, à leurs agresseurs Interahamwes. Le 26 Juin, lorsqu’un petit groupe de militaires français les découvrirent (alors que leurs supérieurs leur avaient interdit de venir), il n’en restait que 2000, qui sortirent de leurs cachettes en pensant que leur salut était venu. Les soldats français partirent en promettant de revenir dans trois jours (alors que d’autres soldats français étaient présents à 5 kilomètres seulement). Un hutu accompagnant les français alla prévenir les miliciens, qui relancèrent le massacre immédiatement. Sous la pression de journalistes, et alors qu’ils entendaient les coups de feu depuis trois jours, les officiers français se décidèrent à finalement honorer la promesse, et vinrent le 30 Juin à Bisesero. Il n’y avait plus que 800 survivants, que l’armée française sauva visiblement à contrecœur, puisque ces réfugiés rapportèrent plus tard avoir été fort mal traités dans les camps de réfugiés, les blessés étant abusivement amputés.

Malgré ce comportement monstrueux des militaires français, et de l’Elysée (piloté de fait par Hubert Védrine alors que Mitterrand lui avait laissé les commandes, étant en constant voyage – dont, cyniquement, la commémoration du débarquement de Normandie et des 49 ans de la fin du régime nazi), il y a des choses qu’on ne peut dire. La France n’a pas commis le génocide rwandais. Celui-ci est rwandais depuis sa décision jusqu’à son exécution. Même dans les cas d’incitation au meurtre relevés lors de Turquoise, les rwandais restaient libres de ne pas tuer. Et, parmi les inculpés du Tribunal Pénal International sur le génocide rwandais à Arusha, aucun n’a plaidé et encore moins fourni de preuves que la France aurait commandité le génocide et y aurait contraint les rwandais. L’Etat français a pourtant fourni les instruments du génocide, et est resté l’allié concret du régime génocidaire – donc du génocide- jusqu’à sa fin, et au-delà même. Il n’y a pas de « Génocide Made In France » (nom d’une association dissidente de Survie), car un génocide est un acte, pas une somme d’armes, de formations ou d’argent pouvant servir à commettre ledit génocide. Cependant la complicité française sur le génocide est évidente et repose sur de très nombreux faits.

Je ne pourrais pas non plus ignorer l’existence d’une prose négationniste, développée en France, par exemple au travers du livre de Pierre Péan Noires Fureurs, Blancs Menteurs. Cette littérature, qui vise à dédouaner la culpabilité de l’engagement français au Rwanda. Sans vouloir commenter tous les biais de ces discours, je note qu’ils se basent généralement sur la thèse selon laquelle le FPR et Paul Kagame seraient les auteurs de l’attentat mortel contre l’avion d’Habyarimana, le 6 Avril 1994. Ce qui aurait fait alors du FPR le déclencheur –intentionnel- du génocide, dans le but de prendre le pouvoir. Le juge français Bruguière a rédigé un rapport d’enquête en 2004 en ce sens. Ses témoins se sont rétractés depuis. Kagame est loin d’être un ange : le FPR a commis des massacres de Hutus en 1994 et a une lourde responsabilité dans le déclenchement de la guerre civile  congolaise, qui, de 1997 à 2003, fit 4 millions de morts. Mais quand bien même il serait l’auteur de l’attentat, il serait aberrant de lui imputer la responsabilité d’un génocide commis par ses adversaires. C’est pourquoi je refuse de m’associer aux thèses de Péan et de ses acolytes.

Changer de République

Cette ignominie qu’est la complicité du gouvernement français dans le génocide justifie à soi seul la chute de la Cinquième République. Ce régime a permis à la présidence de la République d’opérer sans contrepouvoir en Afrique, d’utiliser des sommes et des moyens matériels sans jamais en rendre compte devant l’Assemblée Nationale. La cohabitation n’a même pas constitué un antidote à ce fléau, même si, selon la commission d’enquête citoyenne, Balladur (premier ministre) et Juppé (Affaires étrangères) étaient moins favorables à Turquoise que l’Elysée.

Cependant, il est évident qu’aucun gouvernement à travers le monde ne peut agir en toute transparence lorsqu’il s’agit d’aider un allié en guerre. Il ne peut pas s’écrier « Oyez, Oyez ! J’envoie au vu et au su de tous des armes, des instructeurs et des fonds à mon allié qui en a bien besoin ». Cependant, tous les usages matériels et financiers faits par l’armée ou la diplomatie, même par l’emploi de mercenaires et d’agents irréguliers, devraient faire l’objet d’un compte-rendu a posteriori devant les parlementaires. Cependant, pas d’angélisme : même les parlementaires peuvent se retrouver à passer sous silence les actions du gouvernement, à refuser toute investigation sérieuse…parce que leur parti est au pouvoir. En ce sens, la cohabitation n’aide pas du tout. Et le fait que sociaux-démocrates comme droite se soient succédés aux commandes de la Françafrique aide encore moins.

Contrairement à d’autres, je ne pense pas que la France devrait renoncer à toute présence en Afrique. Il suffit de prendre connaissance des chiffres de l’espérance de vie et de l’accès à l’éducation pour savoir que, même à défaut de toute autre aide économique, et après effacement de la dette, la France devrait au moins contribuer à financer des hôpitaux, des écoles et des universités gratuites. Et même sur le plan militaire, je ne suis pas contre le fait que des troupes françaises d’intervention rapide demeurent dans des bases africaines, à condition que les peuples des états en question se prononcent librement pour ou contre cette délégation de souveraineté (limitée dans le temps, mais renouvelable, et contre rétribution) sur une partie de leur territoire. Il est absurde, en effet, de reprocher au gouvernement français de ne pas avoir utilisé ses troupes pour empêcher le génocide, et en même temps d’exiger le retrait de toutes les troupes françaises d’Afrique, donc la fin de tout moyen pour stopper un génocide. Car une intervention depuis l’Europe en plein cœur de l’Afrique pourrait devenir très difficile si aucun gouvernement africain ne consent à mettre de base ou d’aéroport à disposition de l’expédition salvatrice.

Mais toute puissance qui, comme la France, prétend avoir une capacité d’intervention dans d’autres pays du monde, doit avoir une responsabilité concrète vis-à-vis du reste du monde. D’abord, toute audition des ministères de la Défense ou des Affaires Etrangères (ou même de la Présidence) sur leurs actions devrait se faire non seulement devant les parlementaires français, mais devant des envoyés du monde entier. Et ce à raison de deux envoyés par pays : un pour le gouvernement légal, un pour l’opposition (même si elle est illégale dans le pays, s’il s’agit d’une dictature). Ou encore, en échange de sa prétention aux interventions extérieures, la France offrirait une caution de plusieurs milliards d’euros à l’ONU, que les autres états membres seraient en mesure de lui confisquer s’ils votent une résolution condamnant une action française. Et sans droit de véto cette fois-ci.

 

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