Puisque nous parlions d’immigration dans les commentaires du précédent article, j’en profite pour annoncer la tenue d’une conférence sur ce thème.
Vendredi 29 Janvier, à 19 heures, aura lieu à la Bourse du Travail de Gennevilliers (rue Lamartine), près de la station des Agnettes (ligne 13), une conférence sur l’immigration et les sans – papiers.
Elle est organisée par les jeunes communistes du Nord des Hauts-de-Seine.
Les grandes questions/thématiques autour desquelles tourneront le débat (qui comptera plusieurs vidéos et interventions) seront :
- Aspect, causes des migrations ;
- Comment sont traités les étrangers (particulièrement les sans-papiers) en France et dans d'autres pays ;
- Comment les intégrer en France? Qui doit-on intégrer? A quel niveau? (rapport aux régularisations, aux attributions de nationalité, de droit de résidence...) ;
- Quels solutions internationales, nationales?
- Comment lutter pour ses idées? (des associations seront présentes).
Je préviens certains de mes lecteurs : non, il ne s’agira pas de critiquer toute limitation donnée à l’immigration. Je voudrais donner les chiffres suivants, issus de l’INED (Institut National des Etudes Démographiques).
On peut aussi reformuler les arrivées par origine ainsi :
Certes, ce ne sont que les entrées officielles qui sont recensées, je ne peux rien savoir sur les clandestins. Que peut-on voir ? Qu’il y a environ 200.000 entrées chaque année. Mais très divisés sur le plan de leurs origines. Quoi de commun entre les immigrés originaires d’Europe, donc, Albanie, Kosovo et Bosnie exceptés issus de pays de culture chrétienne et globalement riches (29% du total sur le diagramme circulaire), les immigrés venus d’Afrique ou de Turquie (48% du total, eux-mêmes hétérogènes), les chinois (aujourd’hui 10 000 par an, en pleine croissance) ?
Une autre dimension de l’immigration est son rôle sur la natalité nationale. J’avais déjà abordé le problème dans un article de Janvier 2009. Je contestais l’idée qu’il n’y avait pas de hausse de la natalité chez les français natifs, mais je n’y niais pas la très forte natalité (d’environ 3 à 4 enfants par femme) chez les immigrants africains. Là encore, les immigrés sont très divisés : les japonais, chinois, américains, européens ou turcs n’ont certainement pas la même natalité que les entrants africains.
C’est un fait important à savoir, car si la proportion d’immigrés dans la population résidente en France semble stable à moins de 10% (ce qui en soi ne dit rien sur la population issue de l’immigration), en revanche, parmi les naissances, leur poids est au moins double : près de 20% des naissances en France impliquent un parent étranger. Et il ne s’agit là que des étrangers, pas des immigrés (plus nombreux).
En conclusion de ces faits, notons que :
1) Beaucoup de pays nous envoient très peu de migrants. Est-il justifié d’appliquer une politique de quotas pour quelques milliers de réfugiés afghans, ex-yougoslaves, caucasiens (dont les tchétchènes), ou d’autres pays ravagés par des guerres longues, tels le Congo ? De ces pays nous parviennent quelques milliers de personnes chaque année. Nous pourrions très bien nous passer d’expulsions. Comme nous pourrions nous en passer pour les Comores, pays de 700.000 habitants seulement, et où la séparation avec Mayotte et le durcissement des visas provoque des drames par milliers.
2) S’il y a des pays avec lesquels nous pouvons réguler l’immigration, il s’agit surtout de pays de l’ancien empire africain de la France. Mais gardons à l’esprit que les départs sont très loin de relever d’un simple désir de voyage. Très souvent, on migre sans en avoir aucune envie.
Voyons maintenant l’immigration du point de vue des migrants eux-mêmes.
Je donne donc quelques témoignages de migrants, reformulés à la première personne, car ils seront peut-être diffusés lors de la conférence du 29 Janvier. Ils donnent un aperçu de la diversité des situations évoquée plus haut. Ces témoignages sont issus de la Cimade, ou d’autres sites (on peut par exemple en trouver sur amnesty.org).
Témoignages de migrants
Mademoiselle Z – Mayotte
Je suis née il y a 13 ans à Mayotte. L’île est restée française depuis 1975, alors que les Comores devenaient indépendantes. Ma mère est née aux Comores, mais vivait à Mayotte depuis 19 ans, avec ses six enfants, dont plusieurs sont français. Son mari vivait à Mayotte depuis 40 ans.
Ma mère a été arrêtée en Novembre 2009, et expulsée vers Anjouan, ile des Comores. Je suis parti avec elle, et j’ai été confiée à ma grand-mère. Mais nous avons décidé de repartir aussitôt à Mayotte, ma mère et moi.
Le Jeudi 27 Novembre, onze personnes sont admises à l’hôpital de Mayotte. Elles sont rescapées du naufrage de notre embarcation. Je fais partie de ces rescapés, mais pas ma mère.
Mayotte fut membre des Comores jusqu’à l’indépendance de l’archipel en 1975. Les habitants de l’île votèrent alors leur maintien dans la République Française. Des dizaines de milliers de comoriens tentent depuis de migrer vers Mayotte. Le gouvernement Balladur (1993-1995) a instauré une exigence de visas (dits « visas Balladur ») pour se rendre sur Mayotte. Ces visas entrainèrent une immigration clandestine croissante, dans des conditions meurtrières. Des milliers de gens ont perdu la vie par noyade en voguant d’une île à l’autre, et Mayotte réalise une forte fraction des quotas d’expulsion et de reconduites aux frontières fixées par le ministère de l’immigration.
Monsieur S – Bosnie-Herzégovine
Jusqu’à 1993, j’étais gérant d’un centre commercial, à Vitez, en Bosnie-Herzégovine. La guerre m’a séparé de ma famille. J’ai été détenu dans un camp, torturé, et libéré par l’action de la Croix-Rouge. Je n’ai pas retrouvé ma famille après la fin de la guerre en 1995. Par contre, j’ai découvert ma maison occupée par un militaire vétéran.
Je suis alors devenu réfugié à Kakanj, en Serbie. J’ai tenté plusieurs fois de revenir à Vitez, retrouver ma famille et mon foyer, en vain. J’ai dû revenir en Serbie, et j’y ai pris des coups. On m’a refusé l’accès aux soins.
En 2007, j’arrive en France et demande l’asile. Ma requête est rejetée, l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) ne considérant pas que j’aie subi en Bosnie et en Serbie des persécutions suffisamment grave pour valoir l’asile en France. Je tente un recours.
En Novembre 2007, je suis interné au Centre de Rétention Administrative de Lyon. Je me bats avec les policiers le jour de mon expulsion. Je suis condamné à trois mois de prison et deux ans d’interdiction du territoire.
Mais le verdict final de ma procédure d’asile n’était pas encore tombé, et avait été repoussé au mois de Janvier. Le 17 Janvier 2008, je suis enfin reconnu réfugié par la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA).
Monsieur X – Ghana
J’étais fermier au Ghana, et j’élevais des chèvres avec ma femme, mon fils et ma mère. Mon village fut subitement massacré par des voisins. J’ai tout perdu, famille et biens.
Je suis alors parti vers Kuwasi, la deuxième ville du pays. N’ayant plus rien, je tente alors ma chance vers l’Europe. On me conduit au Mali, puis en Lybie, puis je traverse le Maghreb vers Ceuta et Melilla, les enclaves espagnoles sur la côte marocaine.
J’ai vécu six mois de clandestinité en Espagne, mais c’est la police française qui m’a arrêté en Automne 2009. N’ayant jamais été à l’école, je ne peux communiquer avec la Cimade qu’avec le peu d’anglais que je connais.
Je parle le twi, dialecte ghanéen. Ce n’est pas la langue que l’on parle à Accra, la capitale. Je n’y connais personne. C’est pourtant là-bas que j’ai été expulsé en Octobre 2009, l’OFPRA considérant que je ne suis « pas personnellement en danger » dans mon pays.
Monsieur W – Afghanistan
J’ai 22 ans. Je vivais à Ali Khan Khil, près de Kaboul. Mes trois frères étaient boulangers à Bagram. Pendant la guerre civile, avant 2001, cette ville était un point très disputé sur la ligne de front entre les talibans et l’Alliance du Nord. Lorsque la ville fut reprise pour la troisième fois par les talibans, mes frères ont été forcés à dénoncer les combattants de l’Alliance du Nord. Après 2001, ceux qui avaient été arrêtés et torturés par les talibans décidèrent de se vanger contre leurs délateurs.
Avec mes frères et le reste de la famille, nous avons fui en Iran. Mon petit frère, ma mère et mo n oncle tentèrent un retour en Afghanistan. Mon oncle a été tué, mon petit frère est revenu en Iran. A Bagram, les membres de notre famille feront pour longtemps encore figure de traîtres.
Mes frères décidèrent de rester en Iran. Je tentai ma chance pour la France, en vue d’obtenir l’asile. Je suis resté travailler clandestinement en Grèce pendant plus de deux ans, supportant plusieurs arrestations par la police. Au bout de deux ans et demi, j’arrive à Paris début Octobre 2009. Mon voyage m’a coûté 6 500 euros.
Au bout de deux jours d’errance à Paris, la police m’arrête, et je suis interné au CRA de Vincennes. Les gens de la Cimade pensaient que mon formulaire de demande d’asile aurait une réponse positive.
J’ai fait partie des trois afghans expulsé depuis la France vers « leur pays » en Octobre 2009.
Monsieur Y – Algérie
Je suis né comme sujet de l’Empire français. J’ai fait mon service militaire en 1961, à Verdun. Un an avant que mon pays de naissance devienne indépendant. Je suis revenu en France pour y vivre en 1986. Je vis avec une française. J’ai toujours eu une carte de résidence.
J’ai commis une erreur qui m’a valu d’être arrêté et condamné en 2005. J’ai écopé d’une interdiction définitive du territoire français (ITF), malgré mes vingt ans de présence en France. Cette ITF est juridiquement illégale.
En prison, je reprends mes études d’histoire. Je me passionne pour la France, pour la guerre d’Algérie aussi. Je ne reçois que des notes positives sur mon comportement en détention et pendant mes formations.
Finalement, c’est pour raison de santé que je suis libéré du Centre de Rétention Administrative. Ma carte de résidence n’est valide que jusqu’à Septembre 2009. Cela fera 23 ans que je serai en France. Mais il suffira d’un contrôle de police pour y mettre fin.
Monsieur G – Mali
Je suis né vers 1948 au Mali, dans une fratrie de huit enfants dont deux filles. Je ne suis pas allé à l’école, et ai passé mon enfance en tant que cultivateur.
J’ai voulu tenter l’aventure de l’émigration à 21 ans. A l’époque, émigrer en France, c’était un voyage temporaire, de 2 à 3 ans. Le luxe apparent, surtout au niveau vestimentaire, de ceux qui en revenaient en tentait plus d’un. Ma famille était divisée sur la pertinence de mon départ.
Je me suis d’abord rendu à Kayes, la grande ville de l’Ouest du Mali, puis vers Dakar, au Sénégal. J’y suis resté trois ans, ouvrier de chantier ou sur des marchés de poissons.
C’est en 1972 que je suis allé à Paris. Ne parlant pas français, je n’ai pu répondre aux questions de la police. J’ai été renvoyé à Dakar. Je suis alors reparti sur un vol vers Tunis, puis Francfort, puis Rome, puis Nice. J’avais alors épuisé l’argent que ma famille m’avait confié pour mon voyage. Heureusement, un nouveau mandat de mes parents me permit de reprendre la route vers Paris. Sans carte de résident, j’ai d’abord vécu en foyer. Je suis devenu blanchisseur, ai pris des cours du soir, et ai remboursé mes frais de transports.
J’ai envoyé entre le tiers et la moitié de ce que je gagnais au Mali. J’ai fait venir mon épouse en 1991, car je n’avais de toute façon pas assez de vacances pour aller la voir régulièrement. Nous avons eu cinq enfants.
Les travailleurs maliens en France ont permis beaucoup de réalisations au Mali : des écoles, des centres de santé. Il n’y a pas si longtemps, les enfants de mon village devaient parcourir 17 kms pour se rendre à l’école. Maintenant, elle est dans le village.
Malheureusement, les sommes que nous envoyons ne sont pas entièrement investies, et passent trop souvent dans les dépenses courantes. Pour ma part, j’aimerais me construire une résidence à Kayes, ou à Bamako, la capitale, pour ma retraite.
Mais d’autres maliens ont réussi des réalisations sans émigrer. Aujourd’hui, je dis aux jeunes maliens de ne pas venir en France. La France est devenue très dure avec les étrangers, surtout ceux qui sont en situation irrégulière, ce qui arrive de plus en plus souvent.