La répression de l’immigration clandestine (qui est une immigration comme les autres, les papiers en moins) et « l’immigration choisie » ayant été des chevaux de bataille de Sarkozy, sans parler de Le Pen et Villiers, je ne pouvais manquer d’y consacrer un article.
Tout et n’importe quoi
Il entre à peu près 135.000 personnes (chiffre de 2003), légalement, sur le sol français annuellement, selon l’Observatoire des migrations, et le nombre des clandestins est estimé à un demi-million. Cela n’empêche pas d’entendre à peu près tout et n’importe quoi sur les plateaux de télévisions. Ainsi, dans un débat sur France Télévision, quand un intervenant de gauche parlait de régulariser tous les sans-papiers, De Villiers gémissait : « Qui paye ? Ca coûte 34 milliards d’euros». Le vicomte ferait bien d’expliquer un peu ses chiffres : 34 Mds d’euros, c’est l’équivalent de la rémunération d’un million de salariés à 1500 euros nets, cotisations sociales incluses. Ensuite, Marine Le Pen a contesté les chiffres de l’immigration illégale en France, annonçant qu’en incluant les DOM-TOM, il fallait rajouter plusieurs centaines de milliers de clandestins supplémentaires annuels. Le département d’outre-mer, qui, par sa géographie, reçoit le plus de clandestins est la Guyane Française, vu que tous les autres DOM sont des territoires insulaires ; ensuite, Mayotte recevrait également beaucoup de clandestins, de par sa proximité des Comores. Sachant que la Guyane Française compte officiellement plus de 200.000 habitants, et Mayotte plus de 100.000, si ces territoires recevaient réellement des dizaines de milliers ou centaines de milliers de clandestins qui y entraient chaque année, combien de centaines de milliers ou millions d’habitants devraient réellement peupler ces territoires ?
Près de la moitié des immigrants légaux viennent au titre du regroupement familial. Il n’en s’agit pas moins d’une immigration économique, puisque si les pays d’origine étaient au moins aussi riches que la France, on verrait sans doute moins de regroupements familiaux et plus de retour des travailleurs immigrés.
Est-il besoin de justifier l’immigration ?
Certains, à gauche, se croient obligés de préciser que les pays du Tiers-monde ont été pillés par les occidentaux, états coloniaux comme multinationales, donc nous devons accueillir sur le sol national leurs ressortissants. A droite, les anti-immigrationnistes rétorquent que la colonisation n’a pas été si bénéficiaire que cela (ce qui est vrai), que la colonisation a même eu des effets positifs (déjà plus contestables).
Pour ma part, je ne crois pas que la pauvreté du Tiers-monde soit pour l’essentiel dû aux occidentaux (même si certaines matières premières comme le pétrole ont été longtemps sous-payées) mais aussi largement à leurs gouvernements. Mais je ne crois pas pour autant qu’il faille trouver une quelconque justification élaborée à l’immigration. Toute la rhétorique du FN est basée sur l’idée que la France « c’est chez nous » (qui est le nous ? Croient-ils qu’en tant que français, je devrais me sentir plus proche des gens du FN que des étrangers ?), et qu’il est normal de réserver « pour nous » ce qui est à nous (là encore, ils font comme si la question de la propriété des biens et des revenus n’opposait pas les français entre eux). A cela je réponds que la France n’est pas la propriété des français (et oui), mais un territoire où tous ceux qui passent, et qui s’installent en ont la responsabilité. La France n’est qu’une portion du monde, et il serait anormal que 60 millions de personnes, qui sont là par hasard (alors que tant de peuples se sont succédés sur le sol hexagonal), s’octroient un droit de propriété exclusif et pour l’éternité sur ce territoire. A ceux qui diront « Mais ne nous sommes pas battus pour avoir et garder ce pays ? », je réponds qu’il est normal de combattre des agresseurs venu nous asservir. Mais je n’ai pas de respect particulier pour ceux qui, au cours des guerres passées, ont tué du boche au nom de la gloriole de la Gaule, mais j’ai bien plus de respect pour ceux qui ont affronté l’Allemagne parce qu’elle était fasciste, et non parce qu’elle était allemande.
Tout cela pour conclure qu’il n’y a pas de « France éternelle », mais une communauté mouvante, qu’il n’y a pas de « communauté nationale » dont la France serait la propriété. Il se peut qu’un jour, les occupants (au sens d’habitants) de notre pays décident qu’on ne peut plus en accueillir d’autres, car cela serait humainement impossible. Or, c’est très loin d’être le cas, car nous sommes toujours un des pays les plus riches du monde et où la situation humaine est une des moins graves.
L’immigration, c’est simplement le mouvement de ceux qui sont nés au mauvais endroit (que ce soit la faute de l’Occident ou pas), qui ne peuvent changer la situation de leur pays par eux-mêmes, et qui font ce que nous ferions à leur place : bouger pour travailler et vivre mieux ailleurs. Leur refuser ce droit, « pour donner la priorité au français », c’est juger les gens en fonction de la naissance, avec ceux qui sont bien-nés (au bon endroit) et les autres. Pendant l’entre-deux tours de la présidentielle de 2002, Göllnisch s’indignait qu’on verse des aides à des individus « qui se sont simplement donné la peine de venir ici [en France] » plutôt qu’à des français. Sauf qu’on meurt parfois, pour « venir ici ». Traverser une partie de la planète pour venir en France, c’est un mérite. Etre né en France et français, c’est un hasard, et ça ne doit pas procurer de privilège particulier.
Le développement des pays d’origine, une alternative à l’immigration ?
Je m’attends tout de suite à des réactions du style : « Petit bourgeois gauchiste salonnard, tu ne connais rien aux problèmes réels que pose l’immigration ! Avec des gens comme toi, on accueillerait toute la misère du monde, et la France serait submergée ! ». Je ne crois pas du tout qu’un jour, quoique nous fassions, nous nous retrouvions à «accueillir toute la misère du monde ». Michel Rocard a dû se croire bien malin en disant dans les années 80 qu’on ne pouvait pas l’accueillir, cette « misère du monde ». Or c’était une connerie, un propos de bistrot. Nous allons voir pourquoi.
La conception la plus courante vis-à-vis de l’immigration est que celle-ci se résoudra lorsque les pays d’origine sortiront de la misère. A gauche, cette idée sert à justifier le fait qu’il ne faut pas réprimer l’immigration, mais aider au développement. A droite, et même à l’extrême-droite, cette idée sert aussi à justifier les positions inverses : si, il faudrait réprimer l’immigration et plus encore l’immigration clandestine, car l’émigration n’est pas la solution pour les pays pauvres, il leur faut le développement et la croissance.
Or cette idée, à court et moyen terme, est fausse. Ce ne sont pas les pays les plus pauvres qui émigrent le plus, ni les habitants les plus pauvres des pays pauvres. Prenons pour exemple l’émigration maghrébine vers la France, sachant que deux tiers de l’immigration légale (et pas moins dans l’illégale) en France est africaine, et surtout du maghreb. En 2003, sont entrés en France presque 30.000 marocains et autant d’algériens, et 22.000 tunisiens. Quelques constats :
-si l’Algérie et le Maroc sont des pays de populations comparables (plus de 30 millions d’habitants), la Tunisie, elle, est trois à quatre fois moins peuplée (dix millions de tunisiens), or ses émigrants vers la France ne sont pas 3 à 4 fois moins nombreux que les marocains ou algériens. La Tunisie a donc le plus fort taux d’émigration légale vers la France, relativement à sa population ;
- la Tunisie est le plus riche des trois pays du Maghreb. Elle a certes un contexte politique pas évident (dictature de Ben Ali), mais l’Algérie n’est pas non plus une démocratie, le Maroc relativement. En regardant les chiffres des années précédentes de l’immigration maghrébine en France, on s’aperçoit aussi que l’émigration légale marocaine n’a jamais été très inférieure à celle algérienne, même pendant la décennie 90, pourtant très sanglante en Algérie.
Il semble donc que, contrairement aux a priori, ce ne soit pas les pays les plus pauvres qui émigrent le plus.
On pourrait dire que je ne prends pas en compte l’émigration clandestine (mais qui peut, sincèrement, avoir des chiffres fiables dessus ?). Mais d’autres régions du monde semblent confirmer ce que nous avons vu. Ainsi, dans la zone Caraïbe-Golfe du Mexique, les pays qui émigrent le plus vers les USA (seul véritable pays d’accueil) ne sont pas les plus pauvres économiquement, comme Haïti ou Cuba (n’en déplaise aux anticastristes), mais la République Dominicaine, la Jamaïque ou le mexique. Et encore faut-il noter que les ressortissants de ces pays ne peuvent bénéficier du statut de réfugié politique comme les cubains.
Quelle conclusion pouvons-nous tirer ? Le développement de l’Afrique, noire en particulier, est bien sûr souhaitable, mais il est sans doute totalement erroné de croire qu’une forte croissance/ développement va réduire l’émigration dans ces pays. Bien au contraire, elle va donner des moyens supplémentaires pour quitter le pays alors que les conditions de vie y sont toujours déplorables. Ce n’est que lorsque ces pays auront atteint un niveau de développement élevé que l’émigration baissera.
Ensuite, pour répondre à Marine Le Pen et son engeance ainsi qu’à Rocard, nous voyons que « toute la misère du monde » ne viendra jamais en Europe, tout simplement car elle n’en a pas les moyens. Les réfugiés de Sangatte étaient loin d’être des éleveurs de chèvres irakiens ou afghans, mais souvent des diplômés qui ont fui pour des raisons politiques, mais aussi parce qu’ils avaient un tant soit peu le sou pour le faire. On peut aussi comprendre le bide de la mesure de Sarkozy en 2002 visant à offrir 2000 € aux afghans de Sangatte pour « retourner reconstruire leur pays » (que les forces occidentales, dont françaises, n’arrivent pas à sécuriser) : il y a fort à parier que certains de ces afghans avaient payé plus que 2000 € pour venir. Emigrer légalement, par voie aérienne, terrestre ou maritime, n’est pas gratuit. Emigrer illégalement doit l’être encore moins, les passeurs ne faisant pas dans le bénévolat.
Donc, n’en déplaise à Sarkozy, Villiers, Le Pen, mais aussi à Royal, l’immigration ne se résoudra pas dans un avenir proche par le développement, et va sans doute s’amplifier. Ce qui signifie que l’immigration ne peut pas se supprimer, ni se « choisir », sauf à employer des moyens toujours plus brutaux qui ne feront qu’engendrer plus de morts. Sarkozy peut bien nous seriner que « tous les autres pays choisissent leur émigration, pourquoi pas la France ? » . Mais ce ne sont pas des pays comme la Suède ou les Pays-Bas qui retrouvent des centaines de corps échoués sur leurs plages. Et à l’inverse, les pays développés comme l’Italie ou l’Espagne, qui sont directement confrontés à ces arrivées, ont procédé à des régularisations massives de clandestins. Ces pays, pourtant dirigés par la droite (jusqu’en 2004 en Espagne et 2006 en Italie, si on peut dire), ont donc bien dû accepter une immigration qu’ils n’ont pas choisie.
L’immigration ne s’interdit pas, ne se choisit pas : elle se gère. Désolé si ça fait « petit-bourgeois-gauchiste-immigrationniste », mais les alternatives sont vaines et criminelles.