Les dépenses publiques
Ces temps-ci, j’ai développé une fâcheuse tendance à lire de plus en plus les sites libéraux, libertariens et autres mangeurs d’enfants. Outre le blog Hashtable déjà mentionné dans les liens, le journal Contrepoints, qui se définit comme une base de contre-argumentaires face aux positions sociales-démocrates, socialistes, communistes, altermachins…Quel avantage j’y trouve ? Un niveau de connaissances plus élevé et des affirmations plus construites que ce qu’on peut lire sur la grande majorité des sites de gauche (cette insuffisance argumentative m’avait d’ailleurs poussé à créer www.pourlecommunisme et ce blog). Mais j’y trouve récemment un bon sujet d’article. Et un peu moins « déviant » que le précédent sur les armes à feu..com
Ce mois-ci, parlons un peu du poids global de l’Etat dans l’économie. Vaste sujet, mais dont on abordera une seule dimension ici, la plus cruciale à mon sens : le niveau des dépenses publiques. J’avais déjà abordé ce sujet dans un des premiers articles du blog, en Novembre 2006 (4 ans déjà… ). Les données qui y étaient présentées, datant de 2003, sont obsolètes, et un nouveau cadrage a besoin d’être fait.
Le niveau actuel de la France
Posez-vous, chers lecteurs, juste une question : quel est le niveau des dépenses publiques en France ? C’est-à-dire : pour 100 euros de revenus créés par ceux qui résident dans ce pays, français ou pas, combien passe entre les mains de l’Etat, par le biais des impôts, directs ou non, des cotisations, ou des emprunts publics ?
Non, vous ne savez pas ? Et vos proches ?
La réponse en 2010 est : 56%.
Oui, 56% (du PIB). Près de quatre septièmes du revenu national.
Et qu’est-ce qu’on peut en déduire ? Que les libéraux ont au moins raison sur un point : non la France n’est pas, et de loin, un pays libéral. Un pays où plus de la moitié de ce que l’on produit transite dans les circuits administratifs ne peut être qualifié ainsi. Mais nous n’en sommes pas moins un pays capitaliste, puisque plus des trois quarts de nos 25,5 millions d’emplois (chiffre de mi-2010 selon Eurostat) ne sont pas des emplois publics (administrations et entreprises publiques), et que la très grande majorité des entreprises ne le sont pas non plus.
Est-ce plus ou moins qu’avant ? Au niveau français, c’est plus que durant l’essentiel des années 2000, où nous avons oscillé entre 51 et 53%. La crise a, depuis 2008, joué à double sens en faveur d’une hausse des dépenses publiques : 1) d’abord en créant de nouvelles dépenses, au titre du chômage, des plans de relance, du renflouement des banques ; 2) en diminuant le PIB (en 2009), alors que les dépenses publiques croissaient. La progression du ratio dépenses publiques / PIB ne pouvait qu’en être accrue, et ce fut le cas dans pratiquement tous les pays européens.
De ce fait, la France est officiellement championne d’Europe et probablement du monde des dépenses publiques. Nous avons dépassé les sociales démocraties scandinaves qui se sont retrouvées aux alentours de 54% de dépenses publiques, contre 50% avant 2008. L’Allemagne était aux alentours de 46%, l’Espagne de 39% (soit un taux assez proche de celui des USA, qui étaient avant crise de 36%). Le Royaume-Uni est passé de 39% à 44% au cours des années 2000. L’Italie suit de près la France.
Dépenses publiques en % du PIB, Europe, 1999-2009
Pays ou Zone | 1999-2003 | 2004-2008 | 2008 | 2009 |
UE à 27 | 46,42 | 46,54 | 46,9 | 50,8 |
Zone euro (16 pays) | 47,5 | 47,1 | 46,9 | 50,8 |
Belgique | 49,74 | 49,96 | 50,2 | 54,2 |
Danemark | 54,86 | 53 | 52 | 58,2 |
Allemagne | 47,38 | 46,26 | 43,8 | 47,5 |
Irlande | 33,28 | 34,4 | 42,7 | 48,9 |
Grèce | 45,16 | 45,24 | 49,2 | 53,2 |
Espagne | 39,52 | 38,66 | 41,3 | 45,8 |
France | 52,22 | 52,98 | 52,8 | 56 |
Italie | 47,8 | 48,16 | 48,8 | 51,9 |
Pays-Bas | 45,7 | 45,76 | 46 | 51,4 |
Autriche | 52,48 | 50,72 | 48,8 | 52,3 |
Pologne | 43,24 | 43,36 | 43,2 | 44,4 |
Portugal | 41,54 | 44,52 | 43,6 | 48,2 |
Finlande | 49,92 | 49,3 | 49,3 | 56 |
Suède | 56,42 | 53,5 | 51,5 | 54,9 |
Royaume-Uni | 39,76 | 43,46 | 47,4 | 51,7 |
Islande | 42,42 | 43,16 | 57,8 | 50,9 |
Norvège | 46,06 | 43,46 | 40,2 | 45,8 |
Suisse | 35,24 | 34,68 | 32,2 | 33,7 |
Source : Eurostat
On voit que certains pays, l’Islande notamment, mais aussi le Royaume-Uni ou la Grèce, ont brutalement monté leurs ratios dépenses publiques dès le début de la crise de 2008. Sur l’ensemble de la décennie 1998-2008, la situation du reste de l’Europe était plutôt contrastée : si certains pays diminuaient leurs dépenses (Suède, Danemark, Allemagne), d’autres les augmentaient (Portugal, Irlande, France, Italie, Royaume-Uni). Il n’y avait donc aucunement de « marche irrésistible vers le libéralisme », même si cette période ne vérifiait pas non plus le principe selon lequel les dépenses publiques augmentent généralement plus vite que le PIB.
Comment se répartissent nos dépenses ?
Selon les chiffres de la Banque Centrale Européenne, en 2006, les 52% du PIB français qui sont consacrés aux dépenses publiques le sont dans cette structure :
http://img841.imageshack.us/i/dpensespubliquesfranais.jpg/
On voit que la Sécurité sociale (assurance-maladie, assurance-vieillesse, assurance invalidité), les caisses d’allocations familiales et Pôle Emploi gèrent environ 30% du PIB (en fait moins, une partie des dépenses de santé étant prises en charge par l’Etat, et les dépenses de RSA étant octroyées par les départements, alors qu’elles intègrent le volet « Retraites, famille, invalidité, pauvreté » de ce graphique). Et un peu plus de 22% (sans doute 24%) sont contrôlé par l’Etat et les collectivités locales (le budget de l’Etat français, hors remboursements et dégrèvements d’impôts, représente 320 Mds d’euros en 2010 , soit plus de 16% du PIB).
Par rapport aux autres pays européens, la France est la plus généreuse dans le volet « retraites, famille, invalidité, pauvreté », hormis la Suède (qui y consacre 22,7% de son PIB, contre 22,3% pour la France). Sur d’autres domaines tels que la Défense et la sécurité, elle dépense moins que le Royaume-Uni (5% contre moins de 4% en France). En éducation, la France dépense moins que la Suède (7% contre 6% en France) ou le Danemark (7,7%). En Santé, les dépenses publiques irlandaises sont plus élevées (7,8%). En bref, la France est un pays à fortes dépenses publiques, mais c’est principalement la protection sociale proprement dite (dépenses de Sécurité Sociale hormis la santé) qui en sont responsables.
Prochain épisode: dépenses publiques et effets sur l'économie: cas suédois, européen et américain.