Les cubains
L’un des meilleurs moyens de me retirer l’envie de visiter un pays est de me vanter les qualités humaines de ses habitants, qui, comme par hasard, dans tous les pays qu’on vend au touriste français, sont toujours chaleureux, festifs, qui vous donnent envie de découvrir leur pays etc… Cela m’irrite au plus haut point, tant je sais que cette image a toutes les chances d’être fausse, mais aussi parce que à tant vanter les qualités d’un peuple, on fait passer l’idée que leurs qualités seraient exceptionnelles par rapport à celles des français. Les cubains m’ont clairement fait comprendre qu’ils sont un peuple comme les autres, parfois intéressés, souvent distants, et la fâcheuse habitude d’aborder le chaland en le tutoyant et se prétendant son ami n’a jamais rien annoncé de bon au cours du voyage.
Déjà, des cubains, dans l’hôtel, nous en avions peu qui étaient venus spécifiquement pour nous. Deux traductrices, une responsable de notre voyage. Et sinon, quelques conférenciers. Les conversations étaient forcément difficiles. Et l’idée d’aborder un cubain dans la rue et d’avoir une conversation profonde sur son pays était au fond un peu romantique et naïve. Au mieux les camarades ont pu parler de quelques points matériels, des études que font les cubains (surprenantes souvent : ainsi un sexagénaire travaillant dans le camp agricole de La Bertica nous a dit qu’il avait étudié l’économie en plus de l’agronomie).
Les cubains m’ont surpris sur au moins un point : leur rapport à la violence. Dans le centre des pionniers Che Guevara, on voit, tant parmi les illustrés pour enfants mis en vente que dans les peintures murales et affiches, une forte mise en valeur de l’art militaire, des treillis, des armes…
Peintures au centre des pionniers, La Havane, Juillet 2009
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Les mêmes dessins pas très « Peace and Love » seraient difficiles à trouver en France. On va se dire : c’est normal, ils sont dans un contexte d’affrontement avec les USA, la guerre civile qui a mené à la Révolution est un (des) évènement(s) fondateur(s) de leur nation (avec la guerre de 1895). Pour la France aussi, aurait-on pu dire ; nous aurions nous aussi pu avoir des écoles dans lesquelles on aurait donné aux enfants l’exemple du maquisard stockant la dynamite pour faire sauter des voies ferrées lors du passage d’un convoi nazi. Mais, construction européenne oblige, et société de consommation (où la rude vie du guérillero est trop rustique et contraignante) oblige aussi, la référence à l’armée, fut-elle régulière ou rebelle, est bannie du paysage éducatif en France, et du paysage culturel tout court. Aimer l’armée, en France, c’est un truc de droite. Ou de stal. Porter un treillis, c’est un truc de punk, ou au pire de facho. Le mépris de l’armée et des armes est un bon moyen de briller dans les conversations, y compris pour certains JC. Les cubains ont conscience que l’usage des armes peut être un devoir civique, quand nombre de français se donnent le luxe de croire le contraire.
Mais une autre surprise fut de savoir que les cubains étaient anti-staliniens. Du moins, que Cuba n’avait pas Staline pour référence (ce qui était plausible avant même d’entrer dans l’île), mais aussi que la critique de Staline et de ses actes criminels étaient normales chez eux. Et je fus surpris lorsque les camarades de notre encadrement nous invitèrent à cesser nos chants staliniens. Car certains chants à base de trotskystes, de piolets, de Sibérie et de goulags faisaient fureur dans la délégation. Non pas qu’il y ait, je pense, de gens qui ignorent les méfaits de masse commis sous Staline dans la délégation. Il y avait en revanche peut-être des adeptes du discours relativiste et révisionniste (niant l’ampleur de la famine de 1933, ou faisant l’apologie des purges). En tout cas, au moins un autoproclamé « affreux stal » (je ne donnerai pas son nom) et plusieurs « Voldemoriens » (Voldemor étant un nom de code de Moustache). Enfin, quoiqu’il en soit, les chants stals procuraient un malin plaisir à toute une partie de la délégation. Et pour tout dire, par simple humour noir, moi aussi j’aimerais envoyer un message vocal de ce genre à Olivier Besancenot :
« Je connais un pays
Où les trotskystes ont leur place
La Sibériiiiiiiiiiiiie…..
Un JCR, un piolet dans la carcasse
Que c’est joliiiiiiiiiiiii…. »
Sauf que l’humour noir est apparemment moins en vogue chez les cubains (les français ayant même la réputation d’avoir l’humour violent), et que les cubains ont été négativement surpris de notre répertoire. Il m’a semblé pourtant, y compris dans La Havane, que cet humour était universel.
Humour vampiresque, La Havane, Juillet 2009
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Un autre enseignement des cubains fut leur patriotisme. Celui-ci est réclamé partout, dans les monuments, les inscriptions de propagande, mais, plus spontanément, dans l’habillement. Les cubains peuvent, s’ils le veulent, porter des symboles américains : des t-shirts Mickey Mouse, ou portant les lettres FBI, ou d’autres encore...
A l'entrée du centre des pionniers, La Havane, Juillet 2009
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Mais bien plus souvent, ce sont des vêtements à l’effigie du Che, du drapeau cubain, de la Révolution. Peut-être seulement du fait de la forte diffusion de vêtements par le Parti. Mais la passion patriotique des cubains se voit aussi dans l’affluence, par exemple au centre des pionniers, ou encore au fort de la Cabana, lors de la cérémonie du Canonazo. La forteresse en question est une vieille construction coloniale espagnole qui assurait la sécurité de la ville. Elle devint le quartier d’Ernesto Guevara en 1959, le lieu où, selon les détracteurs du Che, il aurait supervisé les exécutions de centaines de personnes (batististes justement châtiés selon les communistes cubains). Régulièrement, une cérémonie du tir au canon par des acteurs déguisés en soldats espagnols (avec la chevelure blonde typique) attire des centaines de personnes. Des touristes, mais aussi beaucoup de cubains.
Canonazo, La Havane, Juillet 2009
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J’aurais aimé qu’un trotskyste du genre ripostien soit là pour constater ce patriotisme cubain. Patriotisme qui n’a aucun problème avec l’internationalisme, puisque pour parler d’alliance entre les nations, il faut encore qu’il y ait des nations souveraines.
Patria es humanidad, La Havana, Juillet 2009
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