Ayant réalisé que les luttes concrètes représentaient une part trop faible des articles publiés sur mon blog, et que la rentrée était aussi celle des luttes, abordons le sujet chaud du moment : la lutte contre la privatisation de La Poste.
Etant sur un blog PCF, prenons connaissance de la position du parti :
http://www.pcf.fr/spip.php?article3074&var_recherche=la%20poste
Que se passe-t-il exactement ?
En 2011, de part la transposition d’une directive européenne sur la concurrence, le monopole de la Poste, qui ne concernait déjà plus que les envois de moins de 50 grammes, va être aboli. En plus de cela, afin de faciliter les partenariats et les financements futurs, le rapport sur l’avenir de la Poste de Décembre 2008 propose de faire passer son statut de celui d’EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial) à celui de Société Anonyme.
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000771/0000.pdf
Qu’est-ce au fond que le problème de la Poste ? Un problème de mathématiques.
C’est le problème qui consiste à assurer une présence sur tout le territoire, à éviter un temps d’attente trop long à l’usager … tout en ne faisant pas de pertes. Cela me rappelle immédiatement la thématique des files d’attentes qui est un chapitre de l’enseignement des probabilités, en faculté de mathématiques, statistiques, ou en école d’ingénieur. Le temps d’attente étant formalisable avec des lois mathématiques (dépendant de la fréquence des arrivées d’usagers et du temps de traitement de leurs demandes), il s’agit d’organiser l’entreprise postale de sorte à ce que l’attente moyenne soit faible et que l’attente maximale soit limitée. L’attente de l’usager vivant en campagne reculée pouvant être assimilée au temps qu’il lui faut pour rejoindre un bureau de poste ou obtenir la délivrance de son courrier par le facteur.
Le plus vaste réseau d’Europe
Les points de poste, justement, étaient au nombre de 17000 dans le rapport susmentionné, dont 14500 relèvent d’une obligation de service public (avec la fameuse règle selon laquelle au maximum 10% de la population d’un département doit se situer à 5 km ou plus d’un bureau de poste). 14 000 de ces points sont effectivement des bureaux de poste, le reste étant constitué d’agences communales postales (intégrés à une mairie) ou un relais de poste confié à un commerçant. Théoriquement, le service est le même, ce qui n’est pas l’avis des rédacteurs SUD-PTT de ce tract de 2005
(http://a_sylvie.club.fr/Decouvertes/images/LAPOSTEEXPL.pdf , voir la page 3).
Notons cependant que quand François Loos déclarait en 2005 : " Aujourd'hui près de 2000 agences postales communales et plus de 600 relais poste proposent la quasi-totalité de l'offre de La Poste ", il voulait peut-être parler de l’activité en volume, pas en nombre de tâches distinctes…quoique les affranchissements et les envois de recommandés, qui figurent selon SUD-PTT au nombre des options indisponibles hors bureaux de poste, ne sont sans doute pas une part infinitésimale de l’activité postale ! Ayant moi-même été temporairement ouvrier de La Poste, je peux en témoigner…
Sur cette question des bureaux de poste, leur nombre, bien supérieur à celui de n’importe quel de nos voisins pris isolément, est dû à un pays plus vaste, un nombre de communes bien plus élevé qu’ailleurs, et beaucoup de points isolés. Ce qui aboutit à ce que nombre de bureaux de postes seraient en fait sous-actifs. C’est l’argument qui avait été évoqué dès 2003, lorsque déjà Jean-Paul Delevoye, alors ministre de la Fonction publique, avait évoqué la fermeture de 6500 bureaux de postes. Et cet article de 2004 d’un site libéral
(http://www.libres.org/francais/dossiers/service_public/reforme_poste_a2_4104.htm) enfonce le clou : « Sait-on que 1 522 points de contacts (bureaux de plein exercice ou annexes) sont ouverts moins de 30 minutes par jour. 1080 bureaux sont ouverts entre 30 minutes et une heure. 1134 entre 1 heure et 2 heures. 1277 entre 2 et 3 heures. 1493 entre 3 et 4 heures, etc. ? Le beau service public ! ». On est là en plein dans le problème mathématique : maintenir un guichet partout pour éviter le risque de défaillance du service ou de surattente, c’est aussi risquer que le guichet en question soit inactif pendant la majorité du temps.
La Poste, sous-productive ?
La Poste est aussi décrite comme sous-productive par rapport à ses voisins européens. Un rapport public la plaçait déjà à 60% environ de la productivité (mesurée en chiffres d’affaires par agent) des opérateurs historiques allemand (DPWN) ou hollandais (TPG) il y a dix ans de cela (http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/034000622/0000.pdf). Différences ce « productivité » qu’on retrouvera comme argument sur nombre de sites de droite, mais qui en soit ne désignent pas grand-chose, car :
- La Poste étant soit en monopole (sur les plis de moins de 50 grammes) ou en opérateur historique, la contrainte de la concurrence, et surtout la concurrence étrangère, joue encore peu, donc les prix français n’ont pas (encore) de raison de s’aligner sur les prix allemands ou néerlandais ;
- La densité de population n’est évidemment pas comparable entre la France et l’Allemagne (qui est au triple de la densité française), et encore moins avec les Pays-Bas (450 habitants au kilomètre carré).
Pour tenir compte de cette différence de densité, prenons plutôt l’exemple de la Suède : la poste de ce pays avait un monopole jusqu’en 1993, et la proportion du courrier distribué dans les 24 heures était de 95% en cette année (…d’après le site libéral déjà cité). Ce fait milite donc, n’en déplaise à l’auteur de l’article, pour l’idée qu’une poste publique et en monopole peut être efficace, même dans un pays à la population éparse…
La sous-productivité relative de La Poste ne relève donc pas que de la géographie française : dans le rapport de Décembre 2008, plusieurs retards dans l’automatisation sont relevés, comme par exemple, page 8, le séquençage du courrier à livrer, qui se fait encore trop souvent à la main en France, quand il a été automatisé chez nos voisins.
On ne peut bien sûr pas parler de la situation de l’activité postale sans savoir que le volume de courrier papier baisse, du fait de l’utilisation de plus en plus massive du courrier électronique. Mais il faut aussi savoir également que le courrier des particuliers ne représente qu’une minorité de l’activité de La Poste, loin derrière les missives des entreprises, qui tentent de passer de plus en plus au courrier dématérialisé. Ce qui n’améliorera pas la situation financière de la Poste, celle-ci, avec 1,3 Milliards d’euros de résultat Net, ayant relativement peu de marges pour financer ses investissements.
Investissements et financements
Les investissements, parlons-en. Pour combattre l’un des principaux reproches fait à la Poste, à savoir le temps d’attente trop long (estimé à 7,8 voire dix minutes selon les années en moyenne), l’entreprise a mis en place plusieurs plans de modernisation des bureaux. Ce qui fait hurler encore du côté de SUD, pour qui le principal investissement à faire, ce sont des créations de guichets et d’emplois nouveaux (http://www.sudptt.org/IMG/pdf/commCTA.pdf). Nos camarades de la section PCF de Paris15ème voient dans les investissements de La Poste de nouveaux prétextes de désorganisation des bureaux de poste, afin d’accélérer le processus de privatisation (http://pcf-paris15.over-blog.com/article-34870952.html).
Sur ce point, je crains que mes camarades n’aillent vite en besogne. Car il n’est pas faux que des progrès dans le temps d’attente soient possible sans pour autant augmenter le nombre de guichets. Par exemple, en spécialisant les guichets et les personnels dans les bureaux de forte affluence, en séparant les files envois et retraits de courriers/opérations financières/retraits d’allocations, l’attente des usagers venus pour leur courrier a pu considérablement diminuer. De plus, il faut aussi poser la question des horaires : beaucoup de bureaux de poste sont ouverts aux heures où la plupart des gens travaillent, poussant ici les usagers à se rendre au bureau le samedi matin…L’ouverture des bureaux de poste à des horaires différents, les soirs de semaine par exemple, peut diminuer le phénomène. La Poste a aussi à moderniser son système informatique, et supporte tout une série de coûts pour moderniser ses centres de tris, bureaux et systèmes informatiques.
Le coût d’une série d’investissements programmés sur la période 2009-2012 est évaluée dans le rapport de Décembre 2008 est estimé, page 30, a entre 7,3 et 9 milliards d’euros, quand La Poste prétend pouvoir débloquer 900 millions d’euros pour s’autofinancer, soit, abattements fiscaux inclus, un besoin de financement de 2,7 milliards d’euros minimum d’ici 2012.
Par ces temps de crise, il n’est pas question, selon la commission Ailleret (rédactrice dudit rapport) de recourir à un financement privé, et le refus de la privatisation est donné en début du rapport. Ce seront donc l’Etat et la caisse des dépôts et des consignations qui paieront. Mais apparaît déjà la proposition, reprise depuis par le gouvernement, du passage de La Poste au statut de société anonyme. Le besoin de financements futurs, que les rédacteurs du rapport espèrent privés (page 34 du rapport), voire l’échange de participations avec d’autres entreprises postales (sur l’exemple des postes danoise et suédoise), sont utilisés pour justifier le passage au statut de Société Anonyme (SA). Le prétexte du financement des investissements de La Poste, qui compte encore –pour combien de temps ?- dans son aile la Banque Postale, est fallacieux, et les camarades parisiens ont raison de citer le milliard d’euros que la Poste consacre au rachat de la banque Palatine, ou les milliards d’euros versés par le gouvernement au renflouement des banques privées depuis 2008.
Conclusions personnelles
1) En tant que communiste, il est évident que le caractère public de La Poste n’est négociable sous aucun prétexte. Et le passage au statut de société anonyme, outre qu’il ne se justifie pas économiquement, ne ferait qu’ouvrir la voie à la privatisation ;
2) Cependant, la défense de la propriété publique de La Poste ne permet pas de reléguer à un horizon plus lointain la lutte contre ses défauts de services : temps d’attente, de livraison, mais aussi parfois perte (ou même vol selon certains usagers) de courrier. Ce qui m’amène dans deux voies :
a. Premièrement, l’entreprise doit mener à bien sa politique d’investissements de modernisation, sans forcément que l’on y voit un piège préparant la privatisation. La rationalisation du service aux usagers est un impératif qui ne se discute pas plus que le refus de la privatisation. Le parti avait déjà soutenu la grève du 23 Septembre 2008, et les prochaines dates d’actions seront relayées soit sur ce blog, soit sur d’autres blogs PCF (par exemple ceux de Paris 15ème, 5ème ou 14ème).
http://pcf-paris15.over-blog.com/
http://pcf5.over-blog.fr
http://pcf-paris14.over-blog.org
Un référendum anti-privatisation aura lieu jusqu'au 3 Octobre, organisé par plusieurs partis, dont le PS et le PCF. Certains camarades jugent l’initiative futile, politicienne. Ce n’est pas mon avis : je trouve juste que le plus grand nombre de citoyens s’expriment contre ce projet, et pas que l’on se repose uniquement sur l’action des salariés de La Poste. Ensuite, que cette action n’ait pas de fondement légal ne devrait pas poser problème pour des révolutionnaires, n’est-ce pas ? Je pense donc participer à cette consultation et invite le lecteur à le faire;
b. Il faut, si l’entreprise devait à nouveau être en monopole (si un gouvernement de gauche le rétablissait), ou du moins rester en quasi-monopole de par son statut d’opérateur historique, donner un moyen de contestation à l’usager, que l’on pourrait également appliquer à la SNCF ou à EDF. Pour ma part, je verrais d’un bon œil la mise en place de tarifs à partie libre : on paie pour chaque service ou achat à l’entreprise monopoliste un prix fixé par une entité extérieure à l’entreprise, et on est invité à payer plus si on le souhaite. Cette partie libre serait le prix versé en reconnaissance de l’effort fait par l’entreprise pour améliorer la qualité de son service (rapidité de la délivrance du courrier, propreté et ponctualité des trains, absence de coupures d’électricité…). Si personne ne paie de part libre, on ne pourra s’étonner que le service soit médiocre. Cette part libre serait sans doute moins souvent payée par les usagers modestes, ce qui serait un peu plus juste socialement ;
c. En dernier lieu, je vais être beaucoup plus polémique. Sur le fond, je pense que les libéraux n’ont pas tort de pointer la faible activité de nombreux bureaux de poste. Mais le refus de leur suppression est dû à une attitude guère surprenante en France, venant du refus de voir les petits villages se dépeupler du fait de « la disparition des services publics ». Si le service public est un devoir de l’Etat envers le citoyen, ce dernier peut tout de même avoir le devoir, envers la communauté nationale, de ne pas compliquer excessivement l’accomplissement du service public, par exemple en choisissant de vivre (et de demeurer) dans un coin reculé. En 1999 (date du dernier recensement, 21 000 des 36000 communes de France ne réunissaient que 4.7 millions d’habitants (soit beaucoup plus que le nombre d’agriculteurs, on ne peut donc même pas justifier cette ruralité par l'existence du monde agricole), soit 230 habitants par commune en moyenne (et 8% des habitants de la métropole). Est-il vraiment scandaleux de remplacer des bureaux par des points postaux, même si tous les services n’y sont pas disponibles, pour des administrés qui, de par leur lieu de résidence, compliquent également le travail des médecins, pompiers, réparateurs et secours en général ? Que cela plaise ou non, la modernité, c’est l’urbanisation. Sans elle, pas d’industrie, pas de progrès scientifique, et pas de service public moderne. La France a déjà lourdement payé son attachement à la ruralité : celle-ci s’était accompagnée d’une faible natalité au XIXème (causée par la préférence des paysans pour l’enfant unique, pour ne pas partager la terre, tandis que les prolétaires anglais ou allemands faisaient des familles nombreuses), qui nous a renvoyés au rang de nation de second ordre, notamment face à l’Allemagne, nous désavantageant gravement au cours des deux guerres mondiales. C’est pour cela que la passion française pour le monde rural, son caractère « sacré », et l’acharnement à défendre le « petit village de notre enfance » a tendance à me courir un peu…
Je précise une chose : lorsque je ne suis pas à Colombes, je réside dans un village vendéen de 800 habitants. Il n’y a qu’une boîte aux lettres, pas de bureau de poste à moins de cinq kilomètres. Je ne me plains de rien.