(petite illustration francilo-francilienne...)
Je tiens finalement à honorer ma promesse d’un article sur la gratuité des transports.
Je vais donner de suite ma position sur « Faut-il que les transports en communs (bus, trains, tramways, etc…) deviennent gratuits pour tous ?
Surprise : ma réponse est non.
Je suis donc en désaccord avec les camarades JC de Seine-Maritime qui militent pour des transports gratuits, ainsi qu’avec plusieurs villes qui ont mis en place cette gratuité (une vingtaine en France, dont Châteauroux, Compiègne, ou la ville PCF d’Aubagne).
Je sais qu’il y a beaucoup d’arguments tentants pour la gratuité des transports.
Les sirènes de la gratuité
D’abord, elle soulagerait les usagers à bas revenu. C’est évidemment un point intéressant, et l’on pourrait déjà y répondre, comme le font de nombreuses collectivités locales, par la gratuité pour certaines catégories d’actifs. Ainsi, la région Ile-de-France exonère les RMIstes ou encore les bénéficiaires de l’allocation Parent Isolé. La carte ImaginR dont ma fédération demande le demi-remboursement est aussi une mesure d’exonération sectorielle (pour les jeunes scolarisés). Mais ces mesures ont un défaut : lorsqu’on sort du RMI en trouvant un emploi, on perd une aide. Bien sûr, en soi, le coût de la perte de l’exonération n’est pas suffisant pour désinciter un RMIste à trouver un emploi. Mais si l’on cumule ces cas avec la perte d’autres subventions suite à la reprise d’un travail, surtout si celui-ci est faiblement rémunéré, alors travailler devient subitement moins intéressant.
Aussi, pour ma part, préférerais-je que la carte ImaginR soit étendue à tous les jeunes de moins de 26 ans, et pas seulement aux jeunes scolarisés, et qu’on prenne en compte les jeunes travailleurs. Puisque de toute façon, lorsqu’on fête son 26ème anniversaire, on ne peut pas choisir de rajeunir (…hélas). Même si j’estime que la baisse des coûts du transport serait souhaitable pour tous (mais entraînant une hausse des impôts), cela ne justifie pas la gratuité généralisée, pour les raisons que nous verrons plus bas.
Ensuite, la gratuité des transports favoriserait un déplacement plus écologique, au détriment de l’automobile individuelle. Je suis moi-même très partisan du recul de l’automobile, mais il n’est pas du tout évident que la gratuité entraîne une baisse de l’utilisation de la voiture au profit des transports en commun. Une étude de 2004 affirme que l’effet modal (c’est-à-dire l’effet sur le choix de la voiture ou des transports en communs) de la gratuité des transports publics est très peu visible, certainement très faible. En effet, il importe peu de savoir que les transports en commun sont gratuits, si de toute façon on estime que les lignes ne desservent pas efficacement le lieu que l’on veut rejoindre, si les bus sont lents, mal entretenus, en sous-capacité (ce qui ne s’arrangera pas avec une hausse de la fréquentation si le billet est gratuit). Si l’on constate un accroissement à court terme du nombre de gens qui prennent le bus, cela ne signifie pas forcément qu’il y a moins de gens transportés en automobile. Il peut tout simplement s’agir de piétons qui, maintenant que c’est gratuit, prennent le bus pour éviter d’user leur pied. L’intérêt écologique, économique et social de la mesure est alors discutable.
Les coûts de la gratuité
Ils se rencontrent à deux niveaux : la perte des recettes de billetterie (qui ne couvrent de toute façon pas grand-chose dans le coût réel des transports publics), qui ne sont pas compensées par la suppression des coûts de contrôle. Et ensuite d’autres coûts viendront de par la hausse du nombre de personnes utilisant les transports collectifs. C’est pour ne pas avoir prévu de réponse à ces coûts, et parce que l’effet de la gratuité sur l’encombrement routier n’était nullement prouvé, que le projet du parti suisse Les Communistes consistant à instaurer la gratuité à Genève fut repoussé en par votation en 2008.
Si l’on veut réellement une substitution des automobiles par des bus ou des trams, l’important est avant tout d’améliorer le réseau en créant de nouvelles lignes, plus d’unité de transport, et de meilleure qualité. En Ile-de-France, le chantier évident, et qui s’étire en longueur depuis des années, est la création d’une véritable rocade ferroviaire (ou de tramway) dans la petite couronne, évitant de devoir passer par Paris pour se rendre d’un point à un autre de la couronne.
Ensuite, les raisons qui font que je suis opposé à une gratuité totale, c’est que le prix du transport peut représenter un pouvoir tant pour l’usager que pour le salarié de l’entreprise de transport. Je m’explique : pour les usagers, je vous invite à (re)lire l’article que j’ai publié il y a quelques semaines sur les arguments contre les privatisations. Dans cet article, je proposais une réforme de la tarification des services d’une entreprise comme la SNCF, avec une part fixe et une part libre dans les prix des billets de train. Ce qui permettrait aux usagers de manifester leur mécontentement en ne payant plus la part libre (la SNCF pouvant répondre par une limitation du service – lisez l’article si vous êtes sceptiques).
Mais aussi, le fait que les transports soient payants permet aussi d’envisager la grève de la tarification. C’est une idée qui revient couramment à chaque vague de grèves, et qui consisterait à ce que les conducteurs ne cessent pas le travail lorsqu’ils font grève, mais à ce que les contrôleurs se retrouvent empêchés de travailler. Et que le train soit de fait gratuit pendant la durée de la grève. Générant une forte sympathie du public, cette manière de faire grève n’en soulèverait pas moins des objections. Que faire si les usagers utilisent massivement des abonnements mensuels ? Annoncer une grève sur un mois. Et si les contrôleurs tiennent absolument à travailler ? Et bien les conducteurs font une grève classique ? Et si c’est illégal de faire la grève de la tarification ? La législation peut évoluer : il y a 150 ans, la grève tout court était illégale. Ce mode de contestation me semble au final réalisable et pertinent. Mais il impose en revanche que, en temps normal, le transport collectif soit payant.
D’autres propositions
Si l’on veut réduire généralement les coûts de transports et réduire la place de l’automobile et les émissions de CO2, il n’y en a pas moins deux autres propositions que je peux faire.
Sur le plan du coût des transports, on pourrait instaurer le coût dégressif du billet ou du forfait. Au premier billet, vous payez un prix X, vous compostez une carte annuelle, puis au second billet, ladite carte déjà compostée vous permet de payer moins que X, etc…plus votre carte indique une forte fréquence, plus le prix baisse. Ce serait une manière de favoriser l’usager régulier (donc le jeune scolarisé qui se rend tous les jours dans le même établissement, ou le chercheur d’emploi qui multiplie les entretiens) par rapport au voyageur occasionnel. Ce qui répondrait à l’un des problèmes que pose la gratuité : les touristes de passage dans la ville en profiteraient sans la financer par des impôts. La limite de cette proposition de prix dégressif est qu’elle permettrait à des malotrus de multiplier les achats pour avoir des billets à des prix très intéressants qu’ils pourraient revendre au marché noir…limite qui, me semble-t-il, sera facilement cernable par le fait de n’autoriser qu’une baisse de prix par jour, ou de ne laisser la possibilité d’acheter que quelques billets à prix réduits dans une journée, etc…
L’autre chantier, beaucoup plus important et déterminant, serait de diminuer la fréquence et la longueur physique des voyages, à commencer par les trajets professionnels. L’un des principaux leviers peut être tout simplement l’échange d’emplois. C’est-à-dire amener tous les salariés à publier (sous anonymat) leur lieu, la nature et les conditions de leur travail. Et ainsi amener celui qui vit dans la ville A et travaille dans la ville B à proposer à celui qui vit dans B et fait le même type de poste dans A à faire l’échange. Un autre levier peut être la distribution au plus grand nombre de personnes de bons de covoiturage. Et permettre à chaque personne qui proposerait un transport groupé avec son véhicule de recevoir lesdits bons en tant que rémunération, échangeables contre de véritables euros auprès de l’administration. Ce serait sans doute plus pertinent que d’avoir une organisation étatique du covoiturage, puisque l’on serait sûr que les véhicules mis à disposition seraient effectivement utiles, les particuliers ne se séparant de leurs bons que contre une prestation réelle. Un projet qui nécessiterait des impôts, mais en l’échange d’une véritable économie pour les particuliers.